appel à communication Amiens 2017


Septième Congrès de l’Association Française de Sociologie

Université de Picardie Jules Verne à Amiens, du 3 au 6 juillet 2017

« SOCIOLOGIE DES POUVOIRS, POUVOIRS DE LA SOCIOLOGIE »


Réseau thématique 42 Sociologie des élites

Appel à communications

Élites et pouvoirs


Si dans une sociologie spontanée, élites et pouvoirs coïncident de façon évidente, l’intérêt pour qui travaille à une sociologie des élites est de questionner cette équivalence routinisée et d’en faire un programme de recherche. Depuis les années 1930, la sociologie a pris l’habitude d’associer les élites à l’exercice du pouvoir au point que les deux notions s’appellent souvent l’une l’autre dans un mouvement de définition circulaire à l’instar du fameux The Power Elite de C. Wright Mills. Toutefois, les conceptions du pouvoir mobilisées pour rendre compte de ce que sont et de ce que font les élites ne sont ni toujours explicites ni nécessairement homogènes. Le premier axe aimerait réfléchir sur les relations de pouvoir et plus précisément sur les théories du pouvoir qui sont engagées dans l’analyse des élites. En se focalisant sur les usages des sciences sociales par les dominants, le deuxième axe entend explorer dans une posture réflexive le rôle social des « pouvoirs spirituels ». Les frontières des élites étant un enjeu de pouvoir, le troisième axe se propose quant à lui de questionner les enjeux de catégorisation et de nomination impliqués dans l’usage du terme « élite(s) ». Le quatrième axe enfin s’attache aux difficultés méthodologiques spécifiques rencontrées par les chercheurs travaillant sur les élites.

Axe 1. Les relations de pouvoir
Les contributions rassemblées dans ce premier axe s’interrogeront sur les différentes traditions d’analyse du pouvoir et de la domination qui, à la suite de Karl Marx et de Max Weber, ont durablement marqué la sociologie occidentale du XXe siècle. Bien que souvent opposées, ces traditions ont cependant ceci de commun de ne pas adopter une conception substantialiste du pouvoir et de la domination mais de développer des approches relationnelles. Ainsi, la sociologie américaine des années 1940-1950, se revendiquant de Max Weber, a développé une théorie interactionniste du pouvoir reposant sur la capacité de modifier le comportement d’autrui, y compris contre sa volonté. Dans cette même veine, Michel Crozier, en s’attachant à la maîtrise des zones d’incertitude, montre qu’un pouvoir dépend de la structure de l’organisation et non des caractéristiques d’un acteur. Quant à Pierre Bourdieu, il a développé la notion champ du pouvoir qui prend acte de la différenciation du monde social et de la constitution de pouvoirs spécifiques propres à chaque champ tout en s’interrogeant sur la prééminence d’un pouvoir sur les différents pouvoirs.
On aimerait donc dans cet axe confronter différentes théorisations des relations de pouvoir et de domination avec la question des élites en nous demandant comment elles nous aident à rendre compte de leurs pratiques. Plusieurs dimensions pourraient être explorées avec profit :
Le langage est une médiation privilégiée des relations de pouvoir. En tant qu’outil symbolique de construction de la réalité, il constitue une arme pour qui entend avoir une emprise sur un univers ou un groupe. Sont sollicitées des analyses du fonctionnement de communautés linguistiques et des observations d’échanges linguistiques incluant des élites. Ou encore des cas de mobilisation de langage technique, de rhétorique ou de langue dominante pour ou par des élites.
L’une des difficultés à laquelle est confrontée tout chercheur travaillant sur le pouvoir des élites est la distinction entre pouvoir réel et pouvoir fantasmé. Ainsi la sélection des indicateurs ou des variables qui permettent d’identifier ce qui ferait le pouvoir des élites sont déjà en soi des manières de se représenter le pouvoir. De même, les sources choisies, annuaires mondains, listes de clubs, personnels des institutions politiques ou économiques, sont bien souvent des formes de réification des représentations profanes de ceux à qui on attribue du pouvoir et non de purs construits sociologiques. Des retours réflexifs sur des enquêtes réalisées ou en cours sont les bienvenues.
Enfin on pourra s’interroger sur la nécessité du lien entre « pouvoir » et « élites ». Ni Marx, ni Weber ne parlent d’élites pour rendre compte des dominants. De même Bourdieu ne confond pas le « champ du pouvoir » avec le « champ des élites ». Inversement pour Pareto les élites ne sont pas nécessairement gouvernantes. Dès lors, n’existent-ils pas d’autres conceptions des élites indépendantes des rapports de pouvoir et de domination ? On pourra donc, par contraste, mettre en exergue des élites qui n’exercent aucun pouvoir.


Axe 2. Les usages des sciences sociales par les dominants
La situation actuelle des sciences sociales (et en particulier certaines d’entre elles, comme la sociologie ou l’histoire) peut paraître a priori paradoxale. Alors que, d’une manière générale, elles font figure de parents pauvres de l’enseignement supérieur (en termes d’allocation de moyens matériels et humains), elles ne laissent pas les tenants du pouvoir politique indifférent, si l’on en juge par les importantes controverses ayant récemment agité les milieux médiatiques et politiques (autour de la question du retour au « roman national » ou des « excuses sociologiques » quant aux dynamiques de « radicalisation » religieuse). Au-delà de ses effets délétères évidents pour les disciplines en question, cet apparent paradoxe nous rappelle que les savoirs produits par les sciences sociales sont le lieu et l’outil d’importants rapports de pouvoir. Il nous semble ainsi fondamental de pointer cette dimension particulière en recueillant des communications qui se proposent d’analyser les usages sociaux des sciences sociales réalisés par les membres des fractions supérieures de l’espace social.
Dans quelle mesure les savoirs sociologiques sont-ils appropriés par les groupes/institutions pour asseoir leur position dominante et qu’est-ce que cette appropriation révèle de l’état des rapports de force à l’œuvre aux sommets de l’espace social ? On pense ici par exemple à la question des dispositifs mis en place par les grandes écoles pour « diversifier » leur recrutement social – qui peuvent être vus comme une intégration de la critique sociologique classique quant aux inégalités scolaires de réussite en fonction du milieu social mais qui apparaissent à l’analyse comme partie prenante de stratégies de distinction au sein de l’espace très compétitif que représente le marché de la formation supérieure dans de nombreux pays.
De plus, si une certaine sociologie est parfois décriée pour sa dimension critique, les sciences sociales sont également (et ce depuis leur création) largement mobilisées par les élites pour parler sur – et légitimer – l’ordre social. On peut se demander si l’objectivation des luttes inter et intra disciplinaire pour dire « le vrai » sur le monde social ne traduisent pas in fine des luttes entre différentes fractions des classes dominantes. Il s’agira donc de susciter des propositions de communication portant sur ces luttes de légitimité en lien avec les luttes des différents groupes sociaux qui les portent.
Enfin, on pourra se demander de quelle manière les sciences sociales sont ou ont été au service des pouvoirs qu’ils soient économiques ou politiques. Soit comme instrument de connaissance du monde social, on pense ici à la statistique quetelesienne mais aussi aux sondages ou aux études de consommateurs, soit en tant qu’instrument de légitimation des dominants et plus largement de l’ordre social, on pense plus particulièrement à l’histoire quand elle se veut hagiographique mais aussi à la sociologie quand elle reproduit des catégories profanes, à l’instar de la notion d’élite par exemple.
Une partie des propositions soumises dans cet axe fera l’objet d’une session commune avec le RT4 Sociologie de l’éducation.

Axe 3. Les marges du pouvoir, redessiner les frontières de l’élite
Cette thématique, enchâssée dans une réflexion générale au sein du RT, s’inscrit dans le prolongement des journées d’études « Penser l(es)’ élite(s) : taxinomies analytiques et enjeux sociologiques » co-organisées avec le RT 5 en juin 2016. Il est une invitation à questionner la mobilisation du terme « élites » (politiques, économiques, etc.) et ce à différents échelons (locaux, nationaux, etc.). Les contributions pourront tant être des réflexions épistémologiques sur le recours au terme d’« élites » que des retours sur des enquêtes de terrain aidant à penser les manières dont celui-ci peut être mobilisé.
Cet axe propose plus précisément de saisir les « élites » par leurs marges. Il s’agit d’abord de mettre en avant les manières dont les individus eux-mêmes participent ou non à la construction d’un groupe d’élites. Il s’agit surtout, in fine, pour le(la) chercheur(e) portant un regard sur les marges de ces groupes, de mieux saisir les façons dont les élites « travaillent » aux maintiens, aux modifications ou encore aux délitements des frontières de leurs groupes. Les contributions ici attendues porteront plus particulièrement sur les frontières qui permettent de distinguer des individus au sein de leur groupe social ou encore dans leurs rapports à d’autres groupes sociaux, et qui incitent ainsi à catégoriser ces individus comme appartenant à une ou des « élites ».
En effet bien que le terme « élites » soit fréquemment mobilisé dans une acception large, nombreuses sont les difficultés épistémologiques à le définir et à le mobiliser d’une manière qui soit à la fois rigoureuse dans la démarche de recherche et pertinente quant aux objets étudiés. Le terme peut ainsi être porteur d’une vision binaire de la société entre d’un côté une minorité gouvernante, voire dominante, qui serait détentrice du (ou de) pouvoir(s) et de l’autre une majorité gouvernée, voire dominée, qui subirait ce (ou ces) pouvoir(s). Les effets de cette dichotomie réductrice se ressentent notamment lorsqu'on observe des configurations élitaires : la tentation est alors forte d'opposer, en leur sein, et selon les lignes de fractures diverses mais convergentes dans leurs effets, dominants et dominés, décideurs et exécutants, agissants et obéissants, concepteurs/porteurs et « passeurs » de réformes, etc. Dans cette optique, il s’agit d’envisager les frontières entre élites, non pas comme des lignes de fracture, mais comme autant d’espaces de luttes et de médiations matérielles et symboliques associées à une division du travail à restituer. Pour interroger les marges des élites, l’on pourra ainsi par exemple déplacer la focale vers le champ de l’expertise ou encore vers les cadres intermédiaires (middle rank officials) voire les élites de second rang. Sortir d’une logique de distinction des élites vise à reconsidérer ce qui se joue dans leur(s) interpénétration(s) à tous niveaux, strates, ou échelons et ce dans chaque secteur, espace ou champ de compétence(s) et d’expertise(s), jusqu’à considérer l’existence d’élites sans pouvoir.
Les questionnements portant sur les marges du pouvoir et les frontières des élites recoupent la thématique générale du Congrès. A ce titre et pour reprendre l'intitulé de ce dernier, cet axe entend réunir et favoriser des réflexions variées sur les marges du (des) pouvoir(s) autant que sur le(s) pouvoir(s) prêté(s) aux élites (par ces élites elles-mêmes, par des groupes extérieurs et/ou aux marges, ou encore par les chercheur(e)s). Ces réflexions nous permettront plus généralement d’étudier les porosités ou au contraire l’hermétisme des frontières des groupes d’élites et mettront en évidence la richesse et la complexité des configurations en jeu au sein de ces espaces.


Axe 4. Comment le pouvoir s'impose au sociologue ? Intérêts et limites de l’objectivation
Cette interrogation propose de revenir sur les difficultés d’enquêter sur les milieux du pouvoir et/ou sur des enquêtés qui occupent une position sociale supérieure à celle de l’enquêteur. Malgré les publications qui sont venues éclairer ces préoccupations, ces difficultés demeurent en effet un point sensible pour de nombreux chercheur(e)s et ne sont finalement que peu abordées en dehors des échanges informels. De nombreuses questions se posent pourtant aux sociologues qui s'intéressent aux dominants quels qu’ils soient. Elles seront ici abordées notamment sous l’angle de l’objectivation : objectivation des discours, positions et prises de position des personnes enquêtées bien sûr, mais aussi objectivation du rôle des sociologues étudiant des dominants relatifs.
Ce quatrième axe vise ainsi à revenir sur divers points de méthode. Les propositions de communication pourront tout aussi bien concerner la phase de réalisation de l’enquête de terrain dans ses formes potentiellement multiples (entretiens, mais aussi observations, dans une perspective qualitative et/ou quantitative), que la phase d’analyse du matériau ou encore de publication, voire de restitution, des résultats. A titre de propositions (non exhaustives), les communications pourront revenir sur :
La présentation de soi dans le cadre de l’enquête. Les milieux dominants étant pour la plupart des lieux occupés par des hommes blancs et âgés, on pourra notamment s’interroger sur la manière dont le chercheur peut être perçu par le milieu dans lequel il évolue dans le cadre de son enquête et sur l’impact de cette (ces) perception(s) sur les enquêtes produites. Quelles interactions se jouent alors lorsqu’on est perçu jeune ou encore racisé ? Lorsqu’on est une femme ? Lorsque le corps et le langage du chercheur est marqué par un autre milieu social que celui qui est étudié ? On pourra alors revenir sur les effets des présentations de soi et de la mise en avant de certains éléments du parcours biographique, scolaire et professionnel de l’enquêteur.
L’intrusion du chercheur sur des terrains « fermés ». Les milieux du pouvoir ne sont pas toujours faciles d’accès. Dans certains lieux le chercheur n’est pas le bienvenu, mais plus largement il lui arrive d’être confronté à une difficulté d’accès aux enquêtés dont l’emploi du temps serait déjà bien rempli ou encore à une sur-sollicitation souvent directement liée à leur multipositionnalité qui induit des prises de contact par différents chercheurs (un même individu pouvant être à la fois élu, membre du CA d’une entreprise ou plusieurs entreprises, président d’association, etc.). Ces contraintes sont telles qu’elles sont parfois intériorisées, voire surestimées par les chercheurs. Que fait ainsi la difficulté réelle et/ou anticipée d’obtenir des données, aux objets étudiés par les sociologues ? Les milieux réputés inaccessibles, les thèmes considérés comme inabordables (tels que la question des revenus) ou encore les menaces et expériences passées de procès conduisent-ils au développement des logiques d’autocensure dans l’appréhension de certains terrains, dans la construction des objets étudiés et dans la production et la publication des résultats d’enquête ? Une fois un terrain « résistant » investi, comment se fait le bricolage méthodologique auquel conduisent souvent des sources éclectiques ou partielles ?
La résistance à l'objectivation sociologique: un enjeu de pouvoir ? Nous aimerions ici aborder d’abord les questions que soulèvent le retour fait aux enquêtés. Les milieux du pouvoir peuvent en effet ignorer ce retour mais aussi s’emparer des productions de recherche, ou au contraire s’y opposer. Nous nous interrogerons alors également sur les effets de ces enjeux de restitution auprès des enquêtés sur l’écriture des travaux de recherche. Nous aimerions ensuite ici revenir sur les risques de participation des sociologues eux-mêmes à l’entretien d’une domination. Les dominants sont souvent appréhendés par les sociologues avec un degré d’anonymisation moindre que pour les dominés. Cette tendance est souvent justifiée par les fonctions et les prises de positions publiques des élites. Mais étudier des individus rassemblés selon des variables globales ou étudier des individus incarnés, dont on décrit finement les trajectoires, a des conséquences épistémologiques peu questionnées.

NB : Afin de favoriser une discussion approfondie, une ou deux sessions seront exclusivement consacrées à des échanges autour de textes qui seront préalablement transmis au RT. Les travaux seront alors présentés par les discutant-e-s avant de laisser la parole aux auteur-e-s et aux échanges avec les participant-e-s.

Une session commune avec le RT 26 "Analyse de réseaux" est prévue. Dans la continuité de cet événement, les communications associant élites et réseaux seront les bienvenues.

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Envoi des propositions et des communications


Les propositions de communication doivent mentionner les éléments suivants :
Nom et prénom du/des auteur-e-s, adresse email
Fonction et institution(s) de rattachement
Titre et présentation de la communication
Axe envisagé
Une proposition de communication d'une page (4000 signes espaces et bibliographie comprise)
Préciser le cas échéant :
. s'il s'agit d'une réponse à la session commune avec le RT 4
. si vous souhaitez participer aux sessions de discussion des papiers sans présentation orale

Les propositions de communications sont à envoyer avant le 27 janvier 2017 à afs_rt42@protonmail.com. La décision du comité d'organisation sera communiquée aux auteur-e-s avant le 8 mars 2017.

Un texte de présentation des communications acceptées, de 30000 à 50000 signes devra ensuite être envoyé avant le 26 juin 2017 pour permettre aux discutant-e-s de préparer les sessions.

Comité d'organisation des sessions pour le bureau du RT 42
Pierre Bataille, Isabel Boni, Maïa Drouard, François-Xavier Dudouet, Aisling Healy, Sophie Louey, Fabienne Pavis, Marion Rabier, Victor Violier.